Amadou Thierno Gaye ou comment la physique de l'atmosphère peut contribuer à la surveillance et à la gestion du climat en Afrique de l'Ouest

 

Au cours du XX° siècle, l'Afrique de l'Ouest a connu la plus forte décroissance de pluie observée dans le monde. C'est dire que, depuis quelques décennies, les variations du climat posent problème dans toute cette région. On passe d'une année à l'autre de fortes périodes de sécheresse en fortes périodes de pluie dues à la mousson. On ne compte plus les pertes en matière d'agriculture: baisse de la production, destruction des semences, mais aussi des pertes en matière d'élevage. Autrement dit, tout cela a des conséquences sur le bien-être des populations et sur l'environnement. Une telle variabilité soulève des questions essentielles pour le développement durable de cette région déjà très vulnérable du fait d'une augmentation démographique qui est aujourd'hui parmi les plus rapides au monde.
Une telle situation ne pouvait ne pas intéresser quelques laboratoires et scientifiques africains.
Pour l'étudier, un chercheur de génie a créé, à Dakar, il y a plus de 20 ans, au sein de l’Ecole supérieure polytechnique de l’Université Cheikh Anta Diop, un laboratoire spécialisé, le Laboratoire de Physique de l’Atmosphère et de l'Océan. Ce laboratoire a été fondé par un professeur génial, le Professeur Siméon Fongang, décédé malheureusement en janvier 2000. Il s’agit d’un laboratoire universitaire et qui travaille avec la Direction de la Météorologie nationale du Sénégal et de l’ASECNA.
La physique de l'atmosphère, c'est la science qui étudie les facteurs de l'atmosphère (nuages, poussières, eau, etc) qui permettent de comprendre comment naît la pluie depuis l'océan.
Depuis 2002, ce laboratoire est dirigé par un de ses élèves, le professeur Amadou Thierno Gaye. Ce laboratoire a été pendant des années appuyé par l'AUF (appuis à l'organisation de conférences, bourses de mobilité, missions d'enseignement et de recherche pour le transfert des savoirs et des savoir-faire, PCSI, etc).
Amadou Thierno Gaye est Maître de Conférence CAMES à l'ESP UCAD. Depuis la création en 2007 des Ecoles Doctorales à l’UCAD, à la suite de la réforme LMD, il est le Responsable de la Formation Doctorale « Climat et Impacts climatiques » de l’Ecole Doctorale « Eau, Qualité et Usages de l’Eau » de l’UCAD. Il est également l’animateur de l’option Météorologie et océanographie du Master Sciences de l’Ingénieur de l’ESP.
Titulaire d’un doctorat d’Ingénieur et d’un doctorat d’Etat de l’UCAD, il est auteur et co-auteur de plusieurs publications scientifiques parues dans des revues internationales de haut niveau touchant à la météorologie tropicale, au climat de l’Afrique de l’Ouest, à la modélisation du climat régional, à la variabilité des pluies en zone sahélienne. C'est véritablement dans son domaine un savant. Il est membre de plusieurs réseaux et programmes scientifiques internationaux dont les activités touchent aux changements climatiques, à la mousson africaine et aux ressources en eau, comme l'AMMA (Analyses Multidisciplinaires de la Mousson Africaine). En 2006, année des expériences intensives AMMA sur l’Afrique, il a coordonné le Centre des Opérations à Dakar (vols d’un avion de recherche français) et aussi les opérations des équipes américaines autour d’un radar de pluies de la NASA. En qualité de Président du Comité Scientifique, il vient de diriger avec beaucoup de succès une Ecole d’été AMMA sur le thème Changements climatiques et Ressources en Eau du 9 au 20 novembre 2009 à Dakar. 61 participants essentiellement des doctorants africains et quelques européens ont suivi des cours théoriques, travaux pratiques et séminaires donnés par des spécialistes parmi les meilleurs au monde.
A T Gaye est membre du Comité Scientifique de Pilotage du projet GEWEX (Global Energy and Water Cycle, Energie Globale et Cycle de l’Eau) composante du Programme Mondial de Recherche sur le Climat (WCRP) de l’Organisation Météorologique Mondiale. Il est également membre du Comité National Changement Climatique du Sénégal depuis plusieurs années. Il a fait partie des équipes qui ont réalisé les études ayant permis au Sénégal de réaliser en 1998 sa première Communication Nationale à la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement climatique.
Depuis cette époque, il a été sollicité pour assurer des formations pour le compte de plusieurs comité nationaux africains (Algérie, Maroc, Mali, Burundi, …) et a surtout conseillé plusieurs groupes. Ses activités nombreuses dans le domaine du changement climatique l’ont amené à participer en tant qu'auteur principal à la rédaction du quatrième rapport du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du Climat (GIEC) qui a remporté en 2007 avec Al Gore le Prix Nobel de la Paix. Il a participé au programme AIACC (START/PNUD/TWAS) d’évaluation des impacts et adaptation aux changements climatiques dans lequel il a coordonné un projet d’évaluation des scénarios de changements climatiques aux niveau régional et global. Pour le compte du programme ACCA (Adaptation aux Changements climatiques en Afrique) du CRDI il a coordonné les équipes d’experts formateurs (groupe anglophone et francophone) sur l’évaluation du risque climatique.
Les travaux du Pr Amadou Thierno Gaye sont une contribution à la connaissance des mécanismes de la mousson africaine pour mieux prévoir ses variations et ses répercussions sur le climat local, régional et global mais aussi sur les populations, ses impacts sur la santé, les ressources agricoles et les ressources en eau. Pour lui, la mousson est une source vitale de pluie dans les régions du Sahel. En moyenne annuelle, les précipitations à Niamey sont les mêmes qu’à Paris mais toute l'eau tombe en 3 mois. L'agriculture n'est donc possible qu’autour de cette saison des pluies.
La mousson survient en été, des changements de température déplaçant les vents chargés d’humidité de l’Océan atlantique vers la terre. Elle dépend d’une relation complexe régissant les interactions entre la température, la pression et l’humidité des océans, de la terre et de l’atmosphère.
Pour lui et d'autres chercheurs, le début de la mousson – un moment déterminant pour les agriculteurs qui annonce le début des cultures – semble suivre la formation d’une sorte de « langue » d’eau froide dans le Golfe de Guinée. Dès que cette langue d'eau froide apparaît, on peut alors prédire la mousson avec plus d’exactitude, et aider les scientifiques à mieux comprendre le rôle joué par l’Océan atlantique dans sa formation.
Le défi du professeur Gaye est aujourd'hui avec tous ses collègues africains de l'AMMA d'affiner ce mécanisme pour améliorer les prévisions de la mousson. On perçoit aisément l'impact de ces travaux pour des projets de sécurité alimentaire, d’eau, de logement, de santé et de croissance économique dans la sous-région. Mais plus que cela, devant la faiblesse de l'expertise africaine sur ces thématiques et plus généralement celle liée au climat et aux changements climatiques, le professeur Amadou Thierno Gaye s'est engagé à former de jeunes chercheurs avec les appuis des organismes de coopération internationale. Une cause qui est aussi celle de l'AUF et de l'ensemble de ses universités membres.
Chronique signée: Bonaventure Mve Ondo, vice recteur de l'Agence Universitaire de la francophonie.

 

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